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Titre du blog : Faire ensemble, vivre ensemble, agir pour la Paix
Auteur : abdelmalik
Date de création : 05-06-2011
 
posté le 15-04-2017 à 10:13:39

le 14 avril 2014 : La quinzaine du vivre ensemble avec la lettre à Nour de Rachid Benzine à Rillieux la Pape

 

 

Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ? (Ed. Seuil, 2016) commence gentiment de manière intrigante. On comprend d'entrée que Nour est une fille qui écrit à son père depuis la Syrie où elle est partie clandestinement rejoindre un jihadiste qu'elle a rencontré sur Internet. Elle l'a épousé, elle partage son combat et elle invite son père à la rejoindre. 

 

On découvre que le père, sans autre nom que Papa, est professeur de philosophie. Il est veuf et a cru élever sa fille unique dans l'amour et la tolérance avec un esprit d'ouverture à l'analyse des situations. Le livre commence sur la désillusion d'un père découvrant les illusions de sa fille. 

 

 

Une fois ce cadre posé, l'affaire s'emballe soudain. La violence est idéologique. Une violence crue, nue et brutale qui fait froid dans le dos en offrant au lecteur un bréviaire de l'argumentaire jihadiste comme rarement on peut le trouver : enthousiaste, naïf de cohérence, nimbé d'affection et enrobé de l'admiration d'une fille pour son père.

Le tout servi sur l'espoir de renouveau d'un monde idéal. 

 

 

Nour est aimante. Avec ferveur, douceur et tendresse, elle voudrait partager son bonheur avec Papa. Elle lui raconte son havre de paix au côté d'Ikram, chef de police au service de Daesh. Elle n'a qu'un mot sous la plume « Viens, Papa ! » ; « viens nous rejoindre pour enfin réaliser ce rêve dont tu m'as toujours bercé. Viens ! Notre combat est le tien, ne soit pas lâche, saisit l'occasion que nous offrons au monde de parachever les révolutions inabouties vers ce monde dont tu m'as tant parlé ! »

 

 

Raphaël Chouraqui (Les Fils d'Abraham) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre amour filial et haine paradoxale

Avenant et prudent, Papa essaye de tirer Nour de l'enfer. Il s'accuse, se culpabilise. Puis il la supplie, l'implore de rentrer, s'il le faut, avec Ikram. Papa tient cette ligne quelques lettres avant de trébucher pour devenir l'intellectuel torturé par le dévoiement de ses valeurs. Il est alors sans merci : « Maintenant que tu vis au milieu de monstres, écrit-il, et que tu en as même épousé un, que t'inspirent ceux-ci ? Qu'éprouves-tu quand ton époux rentre harassé le soir, après une dure journée de labeur où il a fait exécuter ou tué de ses propres mains femmes et enfants (…). Ce sont des doigts velus et crochus qui parcourent ta peau ? Une haleine fétide qui précède ses baisers ? » 

 

 

La cause semble perdue et le lecteur, à l'image des personnages, se trouve dans une impasse où deux rationnalités s'affrontent, coup contre coup, faits contre faits, arguments contre arguments, idéologie contre idéologie dans une angoissante escalade qui prend à la gorge. 

 

 

Au milieu du déferlement de mots poignants, tissés de haine paradoxale et d'amour filial, Nour annonce la naissance de Jihad, son bébé, en rétorquant à une charge : « Pour la première fois de ma vie, je t'ai méprisé, Papa, parce que tu t'es rendu méprisable. Toi si fort, si beau dans tes sentiments et leur expression d'ordinaire... Tes propos orduriers traduisent tout ton mal. Tu n'es plus que l'ombre de toi-même. Le brillant universitaire nourri de raison et de spiritualité ne trouve plus les mots pour convaincre sa fille. » Elle signe : 

« Ta petite Nour que sa petite Jihad a rendue à l'humanité ! »

 

 

Un romancier est né

C'est alors que la magie de la littérature opère et que le talent de romancier se révèle. Inattendu est le dénouement. Il faut garder son âme d'enfant, se rappeler que, après tout, ce livret n'est qu'une fiction. Rien qu'un affreuse allégorie qui rend compte de la complexité d'une cruelle réalité dont la splendeur réside dans l'ignominie et la magnificence qui résultent des mêmes convictions. 

 

 

Une fiction signée par un universitaire dont on connaît la pensée se lit avec l'appréhension de reconnaître l'auteur derrière ses personnages.

Rachid Benzine a su se camoufler avec justesse. Il faut creuser profond pour retrouver le spécialiste de l'islam, qui marie l'honneur (Ikram) à la lumière (Nour) pour accoucher de Jihad qu'il confie à Papa, un intellectuel marginal, pieu musulman en terre d'islam !

On connaît Rachid Benzine l'herméneuticien, le spécialiste du Coran. Avec Nour, pourquoi n'ai-je rien vu venir ?,

Rachid Benzine le romancier est né. Mabrouk !

 

 

le 11 février 2014, Nour – dont le prénom signifie lumière, en arabe – est partie pour Falloudja, en Irak, rejoindre son « mari » qu’elle a connu sur Internet. Resté chez eux, en « terre d’islam » (en Tunisie peut-être ?), son père, spécialiste à la fois de philosophie et de sciences des religions, est terrassé par l’angoisse. Soucieuse de le rassurer, sa fille parvient à lui transmettre une courte missive dans laquelle elle décrit sa nouvelle vie et le projet qui la porte : « libérer l’Irak », en « chasser les mécréants (et) tous ceux qui salissent notre religion ».

 

 

Quelques mots qui laissent transparaître à la fois l’affection profonde qui les unit tous deux, plus encore depuis le décès de leur mère et épouse, mais aussi la conviction qu’a la jeune femme d’« accomplir » en quelque sorte, dans le djihad, l’éducation reçue : « J’ai suivi ton message et tonamour pour moi », écrit-elle. « Tu m’as dit : Sois libre. N’aie pas peur de prendre les chemins de la subversion »

 

 

Nour n’est ni délinquante, ni psychotique, ni convertie de la dernière heure. Les questions qu’elle lance à son père, ce « brillant universitaire nourri de raison et de spiritualité », résonnent comme une provocation, un cri lancé à notre siècle.

 

 

À son père qui la met en garde contre ces « monstres », « habités par la peur (…) et la sacralisation bigote d’un divin qu’ils ne respectent même pas », coupables « d’exécutions de masse, de torture, de décapitations, de petites filles violées, de femmes lapidées », Nour répond « cité idéale », rues nettoyées, femmes « affranchies du regard des hommes »

 

 

Le califat a « nommé des gouverneurs, et même des juges incorruptibles et sages qui rendent la justice au nom d’Allah », assure-t-elle, invitant son père à venir voir « par (lui)-même le vrai visage du califat, celui de la grandeur d’Allah ».

 

 

« Je me rends compte de l’inutilité et du vide de ma vie d’avant », écrit-elle surtout, elle qui n’a plus de mots assez durs pour dénoncer « les chimères du nationalisme, du socialisme ou de l’occidentalisation à outrance ». « Tu croyais m’élever dans la liberté, mais tu ne faisais que reproduire un carcan dont tu es toi-même prisonnier. »

 

 

Ces questions effrayantes sont aussi celles qui « déchirent intérieurement » l’auteur. Provoqué dans sa foi et dans ses convictions philosophiques, le père de Nour ne peut que lui redire ce qui le fait vivre, lui « l’humble musulman ébloui par la sagesse infinie d’Allah », qui « cherche inlassablement à comprendre la Vérité, si tant est qu’il y en ait une ».« Toute sacralisation mène au désastre totalitaire », lui rappelle-t-il, tentant jusqu’au bout de lui dessiller les yeux. « Il n’y a que la vie qui soit sacrée, la nôtre et celle des autres. »

 

 

 

 

 

 

Un texte absolument poignant et déchirant sur les errances de Daech et le chaos destructeur qu'il engendre dans notre société et au sein de tant de familles.

Rachid Benzine pousse un cri de rage et de douleur, et nous invite à une leçon d'humilité.

 

 

 

 

 

 

le Père Christian Delorme 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rachid Benzine

 

 

 

 

Rachid Benzine, Abdel Malik Richard Duchaine, Mounya Boudiaf,

Hafid Sekhri et le Père Christian Delorme

 

 
Mounya Boudiaf, Rachid Benzine, Hafid Sekhri,
le Père Christian Delorme et Raphaël Chouraqui