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Titre du blog : Faire ensemble, vivre ensemble, agir pour la Paix
Auteur : abdelmalik
Date de création : 05-06-2011
 
posté le 17-05-2017 à 07:29:04

le 16 mai 2017 : Dédicace du livre de Max Bobichon "Un prêtre dans la cité" à la Librairie Saint Paul à Lyon

 

 

« Gardez-vous de faire partie de l'une ou l'autre des deux espèces :

le rationaliste et le croyant.

Soyez les deux » Abd el Kader (1)

 

  • I -


Psaume 62 : « Dieu, Tu es mon Dieu

je Te cherche dès l'aube,

Mon âme a soif de Toi »


Jean de la Croix «  Où T'es Tu caché Ami

Toi qui me laisse dans les gémissements ?

Pareil au cerf Tu as fui

M'ayant blessé

Je sortis criant et Tu étais parti »


Rumi (soufi) « O bel oiseau prends ton envol

Vers ton pays natal

Tu t'es échappé de la cage

et tes ailes sont ouvertes

Eloigne toi des eaux stagnantes

Et hâte toi vers la source d'eau vive »


A tout moment je m'interroge : "Comment puis-je permettre aux êtres vivants d'accéder à la voie inégalée et d'acquérir rapidement le corps d'un bouddha ? "

Sûtra du Lotus, La durée de la vie de l'Ainsi-venu


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Dans l'expérience de toutes ses réalisations, l'homme ressent à un certain moment qu'il voudrait aller plus loin que là où il est arrivé par sa créativité, par son art, par son cœur.


Rimbaud a détruit beaucoup de ses poèmes car il constatait qu'ils avaient exprimé ce qu'il voulait traduire de son émotion poétique mais qu'il n'a pas pu aller aussi loin qu'il l'aurait voulu.

Une fleur m'inspire au jardin : elle se nomme « le désespoir du peintre ». En effet, nul peintre ne peut exactement rendre compte par son art de la vérité extraordinaire de cette fleur. A la fois la couleur échappe à sa palette. A la fois la corolle échappe à son dessin.

Bach « ce cinquième évangéliste » n'a jamais pu ou su composer une pièce qui le satisfaisait.

Combien d'amoureux ressentent cette difficulté, cette angoisse de ne pouvoir exprimer leur sentiment. Ce qui les conduit parfois au désespoir. (Werther en est un témoin et combien d'autres).

En théologie, dans la recherche pour dire Dieu, même en acceptant la médiation de ses prophètes, il y a le constat inéluctable d'une carence dans l'expression. St Thomas considérait que son œuvre de théologie méritait d'être brûlée comme de « la paille ».

Singulièrement en pensant à Pascal qui l'a bien exprimé, le croyant, avec ses capacités intellectuelles peut essayer de dire « sa foi » «  réaliser sa religion ». Mais, franchissant le seuil de ses possibilités, il s'en remet à Celui qu'il ne peut atteindre par sa réflexion et il s'en remet au « pari » ; c'est à dire accepter d'accueillir le Don auquel il aspire mais qu'il ne peut atteindre :

« Mon âme la nuit Te désire et mon esprit au fond de moi Te guette dès l'aurore » Is 26.


En effet, à partir d'un certain seuil ses yeux ne sont plus capables de voir, son cœur seul « qui n'a pas les mêmes contraintes que sa raison » peut délibérément s'en remettre à Celui qui est pressenti mais qui seul peut se donner à atteindre dans un abandon serein et digne car le croyant n'a pas abdiqué la recherche. Il constate simplement que sa raison raisonnante ne dépasse pas le seuil sur lequel il se trouve.


1) Cité par l'Emir Abd El Kader  « témoin et visionnaire ».


- II -


Concernant notre recherche commune.


Notre groupe parfois ressent qu'un Esprit commun nous anime. J'aime à utiliser ce texte de Christian de Chergé pour constater ce que maladroitement nous arrivons à exprimer :

« Le don de soi à l'absolu de Dieu

la prière régulière,

le jeûne,

le partage de l'aumône,

la conversion du cœur,

le mémorial incessant de la Présence,

la confiance en la Providence,

l'urgence de l'hospitalité sans frontière,

l'appel au combat spirituel,

l'appel au pèlerinage qui est aussi intérieur.

En tout cela comment ne pas reconnaître l'Esprit de Sainteté dont nul ne sait d'où Il vient, ni où Il va, d'où Il descend ni par où Il monte. Son office est toujours de faire naître d'en haut, d'attirer sur une voie ascendante » (2)


Nos religions monothéistes se retrouvent dans cette énumération et dans le peu que je connaisse du bouddhisme (japonais) il me semble qu'il ne renie pas ce « chemin », mais c'est un chemin qui fait pressentir le but qui sera don.

 

Beaucoup d'hommes, de penseurs, de théologiens, de croyants, humbles et pleins de recherche font cette expérience.

Au bout d'une recherche parfois difficile ou fiévreuse, parfois sereine et sage, nous constatons tous que nos « pratiques », nos « rituels » nous conduisent immanquablement vers un but qui semble nous échapper et qui pourtant innerve nos balbutiements et qui singulièrement fécondent nos rituels et nos pratiques qui sans cela seraient lettre morte.


Oserais-je penser que le tétragramme par lequel nos frères juifs évoquent Celui qui est au cœur de nos recherches mais que nul ne peut nommer, signifie que Dieu est insaisissable, car donner un nom pourrait faire croire que nous le saisissons ou que nous essayons de le posséder.

Je crois aussi que dans le Coran, la distinction entre « gahib », le mystère divin inaccessible et à l'opposé la « shahada », ce qui est connu, veut essayer d'exprimer cela, cette expérience à laquelle nous sommes finalement tous confrontés.


  1. « Islamochristiana » Michel Younès. L'expérience mystique et son impact sur le dialogue islamo-chrétien. P. 25 Profac et CECR 2009



Comme chrétien j'aime à prier avec ce texte écrit entre 350 et 390 par

St Grégoire de Naziance en Cappadoce car il me dit ce que j'essaie de vous dire :

« O Toi l'au-delà de Tout

N'est-ce pas tout ce que l'on peut chanter de Toi ?

Quelle hymne Te dira ? Quel langage ?

Aucun mot ne peut T'exprimer

A quoi l'Esprit s'attachera-t-il ?

Tu dépasses toute intelligence

Seul Tu es indicible

Car tout ce qui se dit est sorti de Toi

Tous les êtres : ceux qui pensent et ceux qui n'ont pas de pensée

Te rendent hommage,

Le désir universel,

L'universel gémissement tend vers Toi

Tout ce qui est Te prie

Et vers Toi tout être qui pense Ton univers

Fait monter un hymne de silence

Tout ce qui demeure, demeure par Toi

Par Toi subsiste l'universel mouvement

De tous les êtres Tu es la fin

Tu es tout être et Tu n'en es aucun

Tu n'es pas un seul être

Tu n'es pas leur ensemble

Tu as tous les noms et comment te nommerai-je

Toi seul qu'on ne peut nommer ?

Quel Esprit Céleste pourra pénétrer tes nuées

Qui connaît le ciel même ?

Prends pitié,

O Toi l'au-delà de tout

N'est-ce pas Tout ce qu'on peut chanter de Toi ? »


- III -


C'est à ce point nommé que je repense au texte de Paul Ricoeur et surtout à ces mots que je souligne :

« Si vraiment les religions doivent survivre, il leur faudra en premier lieu renoncer à toute espèce de pouvoir autre que celui d'une parole désarmée, elles devront en outre faire prévaloir la compassion sur la raideur doctrinale ; il faudra surtout – et c'est le plus difficile – chercher au fond même de leurs enseignements ce « surplus »non dit grâce auquel chacune peut rejoindre les autres »


J'aime à penser que notre groupe est mûr pour échanger au niveau de ce « surplus non dit » grâce auquel, je crois, nous cheminons ensemble dans la sérénité et la paix.


De plus, sans doute à certaines heures, il est utile, indispensable, d'échanger à ce niveau pour nous sentir du même Esprit et ainsi avoir et prendre conscience de cette Réalité qui dépasse tous nos balbutiements. A ce niveau, pas de privilégiés, seule notre capacité d'accueil nous permet de recevoir. Jésus recevant un centurion romain (armée occupante « goï ») dira à son propos « En vérité en Israël je n'ai jamais trouvé pareille foi » (pareil accueil) Matthieu ch.8, verset 10


Je songe aux prophètes d'Israël qui vitupèrent contre nos « pratiques », nos « rites formalistes » sans aucune sève reconnue et voulue, sans âme reconnue et voulue ; ces sacrifices dont le Dieu d'Israël prétend « qu'Il a les narines agacées et incommodées par la fumée des sacrifices réalisés uniquement pour la forme ».


J'aime à penser aussi que nos frères mystiques dans chacune de nos religions expriment comme il peuvent cette dimension de nos groupes spirituels. Mais leurs spécialités « mystiques », le souci permanent d'exprimer ce « non dit » qui vitalise nos pratiques et nos prières personnelles ne peut nous dispenser, nous croyants, qui que nous soyons, de savoir et de cultiver ce « non dit » car il est le structurant de toute notre expression religieuse. Les mystiques, juifs, chrétiens, musulmans, nous font souvenir de l'essentiel.

Cet essentiel dont Ricoeur, je pense, nous parle comme d'un « non dit » et qu'un jour ou l'autre il faut dire.


Souvent à ce niveau de ma réflexion je pense à une scène de l'Evangile de St Jean au chapitre 4, verset 20 ; cette scène est bien connue : Jésus traverse la Samarie. Il est proche du puits de Jacob. Il s'assied sur la margelle. Il est midi, une femme samaritaine (donc ennemie des juifs) vient chercher de l'eau. Et Jésus lui demande à boire. S'en suit une discussion d'abord morale. La femme veut éviter ce domaine et elle entraîne Jésus sur une discussion théologique .

« Nos pères, dit-elle, ont adoré Dieu sur cette montagne (le Garizim) et vous (les juifs) vous affirmez qu'il faut adorer à Jérusalem ».

Alors Jésus lui dit « Crois moi femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père....L'heure vient et maintenant elle est là où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité - « Dieu est Esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité ! » .


Jésus est clair ; j'interprète sa parole comme une confirmation de l'existence de ce « non dit » qui dépasse toutes nos religions et que nous devons accueillir les uns et les autres pour nous sentir frères et pour donner véritablement sens à tous nos rituels : l'Esprit les anime, les dépasse, leur donne sens et justifie notre marche commune et nos partages savoureux.


J'ose penser que c'est sans prétention que nous pouvons analyser cela.


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« Le chemin qui conduit à ce but ne consiste pas à abandonner notre propre tradition religieuse pour une idée universelle qui ne serait qu'une abstraction. Ce chemin nous conduit plutôt dans le sens d'un approfondissement de notre propre religion par la prière, la pensée et l'action .

Dans la profondeur de toute religion vivante, il y a un point où la religion comme telle perd son importance et ce vers quoi elle se dirige brise sa particularité et l'élève à une liberté spirituelle qui lui donne une vision de la présence du divin dans toutes les expressions du sens ultime de la vie humaine. C'est ce que le christianisme doit découvrir dans sa rencontre avec les grandes religions »

Paul Tillich, Le christianisme et les religions » 1961 Paris Aubier p.173


Et il n'est pas le seul ! Car la découverte peut être mutuelle.

 

De la part de Max BOBICHON