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Titre du blog : Faire ensemble, vivre ensemble, agir pour la Paix
Auteur : abdelmalik
Date de création : 05-06-2011
 
posté le 07-04-2018 à 23:56:58

le 07 avril 2018 : Café littéraire de l'Institut ETIC «Avérroes, sa pensée et son actualité» par Makram Abbès à la Mosquée Othmane

 

 

 Café littéraire de l'Institut ETIC « Avérroes, sa pensée et son actualité » par Makram Abbès à la Mosquée Othmane 51 rue Octavie à Villeurbanne 

 

 

 Né à Cordoue en Espagne en 1126, Averroès est initié très tôt par son père, cadi (juge) de la ville, à la jurisprudence et à la théologie. Il étudie ensuite la physique, la médecine, l’astrologie, la philosophie et les mathématiques.

 

 

 

 

 Makram Abbès est maître de conférences à l’École Normale Supérieure de Lyon et membre junior de l’Institut Universitaire de France (IUF). Spécialiste de la philosophie arabe, il a consacré de nombreux travaux à la pensée politique des lettrés et des juristes de l’époque médiévale ainsi qu’à la philosophie politique de penseurs comme Fârâbî, Avempace et Averroès. Ses recherches les plus récentes concernent la théorie de la guerre en Islam. Il est notamment l’auteur de Islam et politique à l’âge classique  (PUF, 2009).

 

 

 C'est le 13 novembre 2015, dans les locaux de l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris que le Prix Ibn khaldoun-Senghor a été remis à Makram Abbes, enseignant-chercheur à l'ENS de Lyon.

 

Partenaire de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et de l’Organisation Arabe pour l'éducation, la Culture et les Sciences (ALECSO), l’IMA a accueilli la cérémonie de la 8e édition du Prix de la traduction qui a été remis par Adama Ouane, Administrateur de l’OIF à Makram Abbes pour sa traduction de De l’Éthique du Prince et du gouvernement de l’État de Al-Mâwardî, parue aux Editions Les Belles Lettres en 2015. 
Professeur à l’ENS de Lyon, chercheur au laboratoire Triangle et membre junior de l’Institut Universitaire de France, Makram Abbès mène des recherches sur la philosophie morale et politique en Islam. Il a notamment publié en 2009 Islam et politique à l’âge classique.

 

 

 

 

 

 Sa vie mouvementée se partage alors entre CordoueMarrakech et Fès. Magistrat influent, il réforme l’administration de la justice àMarrakech. Il devient le médecin attitré de princes influents et échappe ainsi, grâce à sa fonction, aux ennuis que lui valent ses partis pris philosophiques. Il rédige un traité de médecine (Colliget , en latin), qui lui apporte la notoriété.

Mais ce sont ses commentaires sur Aristote qui le rendront célèbre. Il consacre toute sa vie à l’oeuvre du philosophe grec. Il cherche à en retrouver le sens originel en la débarrassant de toutes les interprétations faites jusque-là. Il se l'approprie avec assez de pénétration et de puissance pour construire un système qui porte sa marque personnelle. C'est à la question de l'origine des êtres qu'il s'intéresse le plus. Selon lui, Aristote prétend que rien ne vient du néant et que ni la forme ni la matière ne sont créées. Le mouvement serait éternel et continu : c'est la doctrine de l'éternité de la matière. Il distingue en l'homme l'intellect passif et l'intellect actif. Celui-ci se situerait au-delà de l’individu : il lui serait supérieur, antérieur, extérieur car il serait immortel. L'immortalité serait un attribut de l'espèce et non de l'individu. Cette distinction conduit Averroès à séparer radicalement raison et foi, les lumières de la Révélation n’étant accessibles qu’à l’intellect actif; Thomas d’Aquin, en revanche, cherchera à les réconcilier, fondant la théologie comme science rationnelle.

 

 

 Ces doctrines philosophiques soulèveront des débats passionnés dans le monde chrétien et trouveront presque autant de disciples que d'opposants. La tendance à séparer la raison et la foi comme relevant de deux ordres de vérité distincts risquait de ruiner les efforts de ceux qui voulaient au contraire concilier, à travers Aristote, le savoir profane et la foi révélée. Les principes d'Averroès considérés comme dangereux seront finalement condamnés par l'Église en 1240, puis en 1513. C'est dire l'influence considérable du philosophe arabe en Occident, notamment dans les écoles médiévales.

Condamné en son temps par la religion musulmane qui lui reproche de déformer les préceptes de la foi, Averroès doit fuir, se cacher, vivre dans la clandestinité et la pauvreté, jusqu'à ce qu'il soit rappelé à Marrakech, où il meurt, réhabilité, en 1198.

 

 

 Y aurait-il deux vérités : l’une issue de la foi, l’autre de la raison ? Non, explique Averroès, la vérité est une et cohérente. Et la loi divine enjoint l’homme à user de l’intellect.

 

 

 Lisant Aristote et les interprétations du Coran, Averroès a visé à concilier la religion révélée avec les lumières de la raison. Pour lui, le texte sacré s’adresse à notre intellect. La tâche des « gens de la démonstration », cette élite qui interprète le texte sacré à partir d’une compétence démonstrative, consiste précisément à retrouver les vérités derrière les images, notamment quand il s’agit d’interpréter les versets plurivoques. Pour Averroès, le sens du texte sacré dépend de la méthode de lecture qui lui est appliquée : les masses saisissent un sens rhétorique et s’en contentent en raison de leur difficulté à accéder à des arguments abstraits ; les hommes instruits lisent le Coran selon un schème démonstratif et évitent de polémiquer. L’infidélité religieuse au sens du texte est le résultat d’une inadéquation entre la méthode exposée et le public concerné : les dialecticiens qui présentent une interprétation auprès de ceux qui ne sont pas à même de la comprendre produisent de l’infidélité, car cette interprétation ne permet pas de donner accès à un sens susceptible d’être partagé par tous.

 

 

 Dépasser les oppositions

Même quand les oppositions semblent présentes dans le texte, les gens de la démonstration savent les dépasser pour éviter de mettre en pièce la religion. Si l’on prend l’exemple de l’action humaine, on peut, nous dit Averroès, trouver des passages soutenant la thèse de la liberté humaine et d’autres le fatalisme : « De nombreux versets affirmant de manière générale que toute chose arrive d’après un décret (bi qadar) et que l’homme est contraint (majbûr) dans ses actes. Mais on y trouve aussi de nombreux versets indiquant que l’homme réalise une acquisition par son acte et qu’il n’est point contraint à ses actes » (« Dévoilement des méthodes de preuve des dogmes de la religion », § 284, in Islam et Raison). En raison de ces deux orientations : « Nous disons : il apparaît bien que l’intention de la révélation n’est pas de dissocier ces deux croyances, mais de les rassembler dans une position médiane qui constitue la vérité en la matière »(§ 298, op. cit.). Le Coran ne nous pousse pas à être fatalistes, il ne dit pas non plus que tout dépend de nous, mais il indique que notre volonté rencontre des conditions extérieures dans l’accomplissement des actions humaines. Aussi notre action est partie dépendante de nous, partie liée à des éléments qui n’en dépendent pas. 

La charia que l’on peut traduire par « loi divine » ou même par « religion » dans le corpus d’Averroès, ne se réduit pas à un code pénal spécifique.

 

 

 Conformément aux occurrences du mot dans le Coran – mot qui signifie « voie » plutôt que « loi » (cf. Coran, XLV, 18 : « Nous t’avons mis sur une voie pertinente, suis-la » !) –, la charia est une loi divine qui enjoint l’homme d’user de l’intellect. Elle « nous appelle à réfléchir sur les étants en faisant usage de l’intellect » (« Discours décisif », § 3). Elle fait même de cet appel une « obligation » (§ 4). Elle n’a pas une allure simplement anthropologique, elle renvoie à un ordre général de l’univers institué par Dieu. 

 

 

 L’appel à user de l’intellect montre que, pour Averroès, il y a une profonde harmonie entre la religion et l’intellect. L’intellect n’est pas la raison humaine, à laquelle nous nous sommes accoutumés depuis René Descartes. L’intellect pense, et l’homme à hauteur de son effort se joint ou non à la pensée. Ce n’est pas l’homme qui est source de la pensée, mais la pensée l’investit à hauteur de son effort. Il faut imaginer l’intellect comme un élément que nous rejoignons par nos dispositions de pensée.

 

Penser autrement l’intellect

L’intellect n’est donc pas pour Averroès l’une des puissances de l’âme humaine comme le pensera plus tard saint Thomas pour qui « l’intellect agent n’est pas une substance séparée mais quelque chose de l’âme » (Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, II, trad. franç., § 76). Averroès laisse ouverte la possibilité de comprendre les choses « sous une espèce d’éternité » comme le dira Baruch Spinoza. L’âme humaine est pour lui sans limite et tout ce qui la différencie ici-bas (imagination, sentiment) disparaît avec elle. Une telle thèse a pu non seulement surprendre de la part d’un musulman qui applique le droit inspiré du Coran mais elle a même été condamnée comme impie. Que faire, si c’est le cas, de la répartition des peines et des récompenses, une fois la mort survenue ? Que faire de la résurrection des morts ?

Petit à petit, s’est confirmée la thèse durant le Moyen Âge latin qu’Averroès était partisan de la « double vérité », une vérité de la foi et une vérité de la raison. Or, comme dans le domaine de la loi, la reconnaissance d’une double légitimité affaiblit quand elle ne disloque pas la vérité même. La loi doit être une et cohérente comme la vérité doit être une et cohérente. Averroès n’a cessé de répéter que la vérité ne se contredisait pas elle-même. La notion de « double vérité » que le Moyen Âge latin a prêtée à Averroès est donc un contresens. Dans le « Discours décisif », Averroès écrit : « Puisque donc cette religion (charia) est la vérité, et qu’elle appelle à pratiquer l’examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité, alors nous, musulmans, savons de science certaine que l’examen démonstratif n’entraîne aucune contradiction avec ce que dit la religion : car la vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. » Averroès soutient l’idée non seulement que la loi divine (charia) s’accorde avec les vérités issues de l’intellect, mais que la vie de l’homme doit être orientée en vue de réaliser cet accord.