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Titre du blog : Faire ensemble, vivre ensemble, agir pour la Paix
Auteur : abdelmalik
Date de création : 05-06-2011
 
posté le 04-04-2019 à 22:55:55

le 04 avril 2019 : Conférence « L’autorité politique dans l’Islam indonésien : regards sur un long vingtième siècle » de Rémy Madi

 

 

 Conférence « L’autorité politique dans l’Islam indonésien : regards sur un long vingtième siècle » de Rémy Madinier

 

 

 Premier pays musulman du monde, l’Indonésie se caractérise par la pluralité de son islam qui a, depuis la naissance des grandes organisations réformistes au début du vingtième siècle, influencé sa place sur la scène politique.

 

 


 

Présentation de la conférence par Michel Younès, professeur de théologie et d’islamologie à l’Université catholique de Lyon, dirige le Centre d’études des cultures et des religions (CECR). 

 

 

 

 

 

 

 Rémy Madinier est chercheur au CNRS, il co-dirige le Centre Asie du Sud-Est (UMR 8170) ainsi que l’Institut d’Etudes de l’Islam et du monde musulman (IISMM-EHESS) . Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, agrégé d’histoire, il a consacré sa thèse de doctorat à l’histoire démocratie musulmane en Indonésie. Il a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de l’Islam en Indonésie parmi lesquels L’Indonésie, entre démocratie musulmane et Islam intégral. Histoire du parti Masjumi (1945-1960), Karthala, 2012 ; The End of Innocence ? Indonesian Islam and the Temptations of Radicalism, NUS Press, 2011 (co-écrit avec Andrée Feillard) ; The Politics of Agama in Java and Bali, Routledge, 2011 (co-dirigé avec Michel Picard). 

Il travaille désormais sur l’histoire des rapports islamo-chrétiens en Asie du Sud-Est.

 

 

 La question de l’autorité légitime est, en Indonésie comme en d’autres lieux du monde musulman, au cœur des expressions de l’islam politique et de ses contradictions. Son évolution peut être observée à partir de trois moments privilégiés. Le premier, au début du XXe siècle, correspondit à la naissance du réformisme musulman qui, dans un même mouvement, entraîna un renouvellement des autorités religieuses et le retour de l’islam sur la scène politique. Cette période fut marquée par l’édification de l’ummat en une communauté sociopolitique, défendant ses intérêts dans un processus négocié. Elle marqua une rupture dans la mesure où les réformistes opérèrent une remise en cause systématique des compromis formulés par les écoles de droit, et, partant, de l’autorité des oulémas les défendant. 

 

 

 

 

 Le second moment, des années 1930 aux années 1970 fut celui de l’affrontement entre musulmans traditionalistes et modernistes. Les premiers prétendirent exercer une direction naturelle sur l’islam dans ses aspects strictement religieux mais sans revendiquer une participation quelconque au pouvoir politique. Les seconds, par contre, entendirent incarner les multiples figures du dirigeant islamique et voulurent être, tout à la fois, le savant et le politique, l’ouléma et le ministre.

 

 

 

 

 Le troisième temps, enfin, fut celui des recompositions ayant marqué ces quatre dernières décennies. Il se caractérise par un éclatement et une remise en cause des hiérarchies religieuses traditionnelles, consécutives à l’instrumentalisation de mouvements islamistes radicaux par des forces politiques fort diverses. 

 

 

  Qu’est-ce qui caractérise cet islam indonésien aujourd’hui ?

Schématiquement on peut dire que la communauté musulmane indonésienne est touchée par deux évolutions distinctes qui peuvent néanmoins se rejoindre. La première, qui n’est pas propre à l’Indonésie, est une extériorisation de l’islam et une plus grande visibilité de sa pratique. C’est un mouvement culturel au sens large, qui cherche à figurer une contre-culture par rapport à l’occidentalisation très puissante que connaît l’ensemble du monde, et l’Indonésie en particulier. Cela se traduit dans la pratique religieuse (plus importante sans doute, plus ostentatoire certainement), dans le vêtement (le voile n’en est qu’un élément), dans l’édition, à la télévision, dans la vie sociale. Cette évolution est très largement quiétiste, respectueuse de l’ordre social, politique et spirituel établi. Elle n’est pas en soi porteuse d’obligations, même si, à l’instar de tout phénomène de mode, elle comprend une part de pression sociale. Cependant, et c’est le second mouvement auquel je faisais allusion, il existe dans la communauté musulmane indonésienne une frange plus militante qui, pour des raisons diverses, cherche à exacerber ce mouvement en défendant un particularisme arabo-islamique très essentialisé, exclusif de toute autre forme de culture et de religion. Ce mouvement refuse l’idée d’une diversité religieuse, y compris à l’intérieur de l’oumma et présente les différentes solutions portées par l’islam comme autant d’obligations pour le citoyen, identifié au croyant. Ce type de raisonnement fonde les efforts de « chariatisation » (réglementation des rapports sociaux selon les règles de l’islam ou suposées telles), depuis les codes de loi proposés par le Majelis Mujahiddin Indonesia (MMI), jusqu’aux décrets à fondement religieux édictés par les autorités locales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment expliquer alors ce regain d’intérêt des provinces pour les règlements locaux inspirés de la charia ?

Au plan national, les partis voulant remettre en cause le Pancasila pour défendre l’application de la charia n’ont jamais dépassé 15 à 18 % des voix. En revanche au niveau local, des organisations ont pu s’appuyer sur une surenchère islamique pour se tailler une place sur la scène politique. Craignant de perdre leur influence, certains responsables locaux, pourtant issus de partis séculiers comme le Golkar, se sont laissés aller à cautionner des textes pénalisant le non-respect de certains principes islamiques (comme le fait de manger ou boire pendant le jeûne du Ramadan). Le mouvement de « chariatisation » par le bas que connaissent certaines municipalités ou districts en Indonésie s’inscrit dans cette logique. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Quelle est la genèse de cette tentation radicale ?

Elle remonte à l’échec du pari libéral du grand parti musulman de l’indépendance, le Masyumi. Sous la conduite de Mohammad Natsir, pourtant issu d’une organisation très militante, le Persatuan Islam, ce parti a proposé aux élections de 1955 (les seules élections libres de l’Indonésie indépendante jusqu’en 1999) un véritable projet démocrate musulman. Très libéral, ouvert aux autres confessions, il proposait des valeurs inspirées de l’islam mais qu’il refusait de laisser enfermer sous cette seule étiquette. Ainsi, le programme adopté quelques semaines avant le scrutin comprenait-il 55 mesures où ne figurait aucun terme témoignant de l’identité islamique du parti. Ce programme aurait très bien pu être celui du Parti socialiste de l’époque ! Très attaché à la démocratie, les principaux dirigeants du Masyumi s’opposèrent à la dérive autoritaire du régime Sukarno. Certains d’entre eux ont même rejoint les rebellions régionalistes qui protestaient alors contre le pouvoir central. Pour cette raison, le parti fut interdit en 1960 et ne put pas non plus être reformé après l’avènement de l’Ordre nouveau en 1966-1967. Aigris, ayant payé de plusieurs années d’emprisonnement leur combat démocratique, les responsables du Masyumi décidèrent alors d’une islamisation par le bas. Porteurs des espoirs déçus d’une modernité qui n’a pas réussi, ils vont en quelque sorte inverser leurs priorités et se faire les zélateurs du « tout islam » comme solution à l’ensemble des problèmes économiques, sociaux et même culturels que traverse le pays.